Aquarius est le premier de la série des Garcia Exploration 52, et ce n’est pas là sa moindre singularité. À mi-parcours d’un tour du monde entamé il y a déjà quatre ans, Hervé Couturier a bien voulu nous révéler toutes les particularités de son voyage. Il y croisera notamment le sillage du célèbre Dumont d’Urville, explorateur des côtes antarctiques au XIX° siècle et originaire, comme les Garcia, de la ville normande de Condé-sur-Noireau ! Mais « tout larguer » pour partir n’est pas la philosophie du skipper, qui au contraire, s’est organisé pour concilier vie professionnelle trépidante, vie de famille riche, copains nombreux et donc grande croisière par étapes. Une approche qui tente de nombreux navigateurs et qui ici a été particulièrement bien organisée, permettant un tour du monde sur mesure, étalé sur huit années ! Explications.

 

La voile ça vous vient d’où ?

“ Je crois que j’avais 13-14 ans et des amis de mes parents m’ont emmené à l’Aber Wrac’h, en Bretagne, faire un stage de dériveur, du 420, à l’UCPA. J’ai beau avoir eu longtemps, et encore parfois occasionnellement, le mal de mer, la greffe a pris immédiatement et définitivement. Un peu plus tard, j’ai enchaîné les stages UCPA jusqu’à celui de skipper, ce qui, devenu adulte, m’a permis de louer régulièrement des bateaux un peu partout dans le monde. “

Mais comment passe-t-on de 15 jours de location par an à un projet de Tour du monde ?

“ C’est d’abord l’histoire d’une révélation. C’était il y a bientôt cinquante ans, mais le souvenir est parfaitement intact dans ma mémoire. En 1972 ou 73, encore jeune adolescent, j’ai assisté à une conférence de Gérard Janichon, du voilier Damien. J’ai été absolument fasciné par son récit. Les images de l’Antarctique et de la remontée de l’Amazone qu’ils ont effectuée avec Jérôme Poncet m’ont marqué à vie. Je me souviens très bien être ressorti de la salle, à Royan, en me disant « Un jour je ferai ça ! ». Autant vous dire que derrière, j’ai dévoré leurs livres. Les ouvrages de deux autres marins navigateurs me marqueront aussi bien sûr, ceux de Bernard Moitessier et d’Ernest Shackleton. Antoine sera la dernière couche de rêve, qui finira, s’il en était encore besoin, de me convaincre de partir. Mais l’inspiration de mon voyage est assurément un mélange des ‘Damien’ et de Moitessier. ”

Les années ont passé, à quel moment vous dites-vous :« j’y vais » ?

“ En 2012, j’ai alors 54 ans et je me dis qu’il ne faut pas reporter indéfiniment le projet de mes rêves. Il va se réaliser en deux temps en fait. En 2012 tout d’abord, je saisis l’opportunité d’un changement professionnel, assorti de deux mois de vacances, pour réaliser une première traversée de l’Atlantique sur un Alliage 44, chantier disparu depuis. Et déjà, j’organise ce premier voyage avec des rotations régulières d’équipiers copains, qui ont tous une activité professionnelle et ne peuvent pas se libérer plus d’une ou deux semaines consécutives. C’est au retour, en 2013, que je lance le projet Aquarius, d’un voyage beaucoup plus long, mais avec cette même idée d’alterner séjours à bord et périodes à terre. Pour moi « retraite » est un gros mot, et je ne m’imagine pas du tout arrêter de travailler. Mais quitter, en 2016, un groupe de 6 000 salariés pour devenir conseil indépendant, m’offre beaucoup plus de liberté. Je pars donc en quête du bateau idéal, avec mon cahier des charges sous PowerPoint qui a dû bien faire rigoler les chantiers consultés. Mais j’ai eu un très bon feeling avec l’équipe du chantier Garcia et l’architecte Olivier Racoupeau. La genèse de ce premier Exploration 52, de la conception à la mise à l’eau en passant par toutes les phases de construction, dont la chaudronnerie, réalisée avec un savoir-faire impressionnant, a été une période extrêmement intéressante et agréable. “

Le bateau est mis à l’eau début 2016, quel est le programme alors ?

“ Le but est de faire le tour du monde le plus lent et avec le plus d’équipiers possible (rires) ! Plus sérieusement, le programme s’étale sur huit ans, quatre pour l’aller et quatre pour le retour, que nous allons d’ailleurs entamer en décembre 2020. Le bateau est actuellement à Tahiti et plus d’une centaine d’équipiers ont déjà navigué à bord ! C’est assez exceptionnel, car sur la plupart des bateaux que nous croisons, ce sont des couples qui naviguent le plus souvent à deux et en permanence. D’ailleurs, la seule petite déception de ce magnifique voyage, c’est que nous n’avons pas de relations très suivies avec d’autres navigateurs, car notre rythme est vraiment particulier. Mais ce n’est pas bien grave comparé à ce que nous vivons tout au long du parcours. Et puis nous avons un mode de fonctionnement très clair avec nos équipiers. Tout ce qui est lié au bateau est pour moi, tout ce qui est restaurants, excursions à terre ou autres, est à la charge de l’équipage. C’est comme si avec Ségolène, mon épouse, nous étions invités sur notre propre bateau. Bon, économiquement je ne suis pas sûr d’être gagnant (rires) mais cette transparence est très agréable, et vu le nombre d’équipiers passés à bord d’Aquarius depuis le départ, qui reviennent ou veulent revenir pour la plupart, cela semble convenir à tout le monde. “

Justement, parlez-nous du chemin parcouru depuis 2016 ?

“ Après un été de prise en main en Bretagne et une escale à La Rochelle où nous avons été très fiers de présenter Aquarius lors du Grand Pavois, nous sommes partis plein sud pour réaliser deux missions à but humanitaire au Sénégal, dans le Sine Saloum, pour Voiles sans Frontières et Pompiers Entraide Internationale. Je ne m’explique toujours pas très bien comment nous avons pu faire rentrer tout le matériel à livrer dans Aquarius, mais nous avons réussi ! Et c’était vraiment extraordinaire de commencer notre voyage par ces moments incroyables, mouillés dans la mangrove, à repeindre le dispensaire, installer le matériel, refaire les plans de l’école… En 2017 nous avons traversé l’Atlantique entre le Cap Vert et la Barbade et avons profité des Antilles. Nous avons été jusqu’à 11 à bord pour fêter Noël puis le 1er janvier 2018 ! Même le carré avait été réquisitionné en couchette, mais quels souvenirs que ces moments en famille. Puis nous sommes descendus sur Carthagène, les San Blas, avant de passer Panama pour rejoindre les Galapagos. Plusieurs équipages s’y relaieront pendant les trois mois d’escale, évitant ainsi que les lions de mer ne prennent Aquarius pour leur maison, où en tous cas ne s’aventurent plus loin que la jupe, qu’ils trouvaient eux aussi très confortable. Pour la traversée du Pacifique, jusqu’aux Marquises, j’ai confié le bateau à quatre amis et depuis un an nous en sommes à notre troisième séjour en Polynésie.

Je me suis même accordé une petite folie en juillet dernier. J’étais pour le travail à Las Vegas, il ne restait donc plus « que » 8 heures de vol pour Papeete, alors je me suis offert une semaine de navigation en solitaire autour de Tahiti ! “

Quelle route avez-vous choisi pour le voyage retour alors ?

Comme Moitessier le prônait, nous allons prendre la route « logique » ! C’est-à-dire qu’Aquarius rentrera en Europe via le Cap Horn. Mais avant je tiens absolument à aller faire un tour en Antarctique, et j’ai jeté mon dévolu sur la base de recherche ukrainienne de Vernadsky, située par 65°S dans la Péninsule antarctique qui fait face au Cap Horn. Il se dit que s’y trouve le bar le plus austral du monde, même s’il n’ouvre que quand quelqu’un s’y présente et ce n’est pas tous les jours ! Il y a deux mois de mer environ depuis Tahiti, dans des conditions qui, à un moment, seront forcément mauvaises sous ces latitudes. Mais Aquarius a été conçu pour cela, et j’ai reçu de précieux conseils du grand Jean-Luc Van den Heede lors de la soirée propriétaires du groupe Grand Large Yachting à Paris en décembre 2019, alors je suis confiant. Il s’agit de prévoir à l’avance l’installation d’un gréement de fortune, de manière à anticiper un éventuel démâtage, une avarie majeure qui, si on en croit “VDH”, peut survenir à tout moment et à bord de n’importe quel voilier, même les plus robustes, sur l’océan Austral. Autant dire que je l’ai écouté attentivement !

Nous remonterons ensuite sur Ushuaïa (avec notre gréement d’origine je l’espère !), où je laisserai Aquarius une saison. Hiverner le bateau et le faire entretenir à distance n’est jamais simple, et cela sera encore le cas là-bas, mais tout finit toujours par se faire… merci Grand Large Services ! Naviguer dans le sillage de Shackleton, du Damien et de Bernard Moitessier se mérite de toutes façons, et vivre mon rêve de jeunesse, ou plutôt le rêve de toute une vie, n’a pas de prix ! “

Atoll de Raroia

Et il apparaît de plus que, en traçant cette route depuis l’Océanie jusqu’à l’Antarctique, Hervé et Ségolène empruntent pour partie l’itinéraire de l’explorateur normand Jules Dumont d’Urville. Lors de son troisième voyage autour du monde (1837-1840), il a mouillé successivement à Tahiti, aux îles Tonga et Samoa, en Nouvelle-Zélande, en Tasmanie… et a cherché à atteindre le Pôle Sud, rien que cela, pour honorer la mission que lui avait confiée Louis-Philippe ! Ce n’est qu’en janvier 1840 que deux bateaux de son expédition, l’Astrolabe et la Zélée, touchent une terre rendue quasi inaccessible par les glaces : il s’agit en fait d’un continent, l’Antarctique, la mythique “Terra Australis Incognita”. Ce même Continent austral que le capitaine anglais James Cook avait approché de très près sans l’apercevoir en 1773, atteignant alors la latitude insensée de 71°S, et qui fut en fait découvert en 1819 par William Smith, Anglais lui aussi. Qu’importe : Dumont d’Urville baptise ce territoire désolé du nom de Terre Adélie, en hommage à sa femme Adèle, et qui est aujourd’hui un district à part entière des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), lesquelles y occupent à l’année la base nommée… Dumont d’Urville bien sûr. Et le plus incroyable est que ce navigateur intrépide est né à Condé-sur-Noireau, en Normandie, au même endroit que le bateau d’Hervé et Ségolène, puisque c’est à Condé que les frères Garcia ont fondé le chantier du même nom en 1973, et que les compagnons de Garcia Yachts continuent aujourd’hui de construire les coques aluminium en formes des Garcia Exploration, dont Aquarius.

Une corvette de Dumont d’Urville dans les glaces – 1865 – DR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

“Je trouve cette coïncidence incroyable ! “conclut Hervé. “Reste à savoir si, comme Dumont d’Urville, nous bouclerons trois tours du monde, mais là, vu le rythme auquel nous nous tenons, c’est beaucoup plus incertain…” (rires).

Le Garcia Exploration 52 Aquarius en chiffres

100 : (estimation) le nombre d’équipiers ayant navigué sur Aquarius en cinq ans.

11 : nombre de personnes à bord aux Antilles pour les fêtes de fin d’année 2017.

30 : en kilos, le poids du Marlin de 2 mètres pêché au large de la Colombie.

19 et 13 : en jours de mer, respectivement les temps de traversée du Pacifique
(Galapagos — Marquises) et de l’Atlantique (Cap-Vert — La Barbade).

Le blog Aquarius
https://aquariuslebateau.synology.me