Cet article est le cinquième de six écrits par le coureur au large et aventurier anglais Pete Goss.
La page recensant tous les articles de cette chronique est ici : La grande croisière, un voyage aux multiples facettes
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L’aventurier et coureur au large britannique Pete Goss est bien connu de la communauté des passionnés de voile pour son engagement fort en matière de sécurité à bord, sa participation à des projets de compétition exigeants et ses aventures dans des régions reculées. Mais Pete est aussi un vrai “good guy”, qui aime socialiser et s’amuser lors ou autour de ses voyages d’exploration, et qui affiche en toutes circonstances une approche responsable et un comportement durable envers la mer et la nature. Dans ce cinquième article de la chronique qu’il a amicalement accepté d’écrire en exclusivité pour Garcia Yachts, il explore la force du lien entre terre et mer, que des jouets tel un esquif à pagaie ou une paire de palmes aident à mieux percevoir.
J’ai toujours dit que lorsque je raccrocherai mes bottes de coureur au large, j’aimerais explorer les recoins de la planète plutôt que de passer devant à toute allure dans une quête de vitesse. Pour quelqu’un de nature curieuse comme moi, il a toujours été frustrant de regarder des îles luxuriantes et exotiques tel l’archipel du Cap-Vert ou des terres désolées comme l’île de Gough, dans l’Atlantique Sud, s’effacer au loin. Ce qu’elles auraient pu avoir à offrir, en disposant du temps nécessaire à leur exploration, a pris la forme d’un regret à l’écho persistant.
Plus je cochais la liste des courses qui m’inspiraient, plus cet écho se faisait insistant et commençait à réclamer mon attention. La variété m’appelait, j’ai commencé à explorer d’autres modes d’aventure capables de m’offir davantage de variété et une plus grande proximité avec la côte. Cela a abouti à ce que je prenne part ou organise des voyages au pôle Nord, une expédition en bateau pneumatique au-delà du cercle polaire, un épisode de reconstituion historique à destination de l’Australie et un voyage épique en kayak autour de la Tasmanie.
C’est le tour de la Tasmanie en kayak (en 2012 ndlr) qui m’a vraiment ouvert les yeux sur la dimension supplémentaire que la croisière pouvait avoir à offrir. C’était une entreprise énorme, les défis de la survie absorbant toute notre attention pendant la préparation de cette expédition. Cependant, une fois que nous sommes partis, une aventure parallèle merveilleusement aléatoire et complètement inattendue a commencé à se dérouler à terre.
Comme la mère de Forest Gump aimait à le dire, “la vie est comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais ce que l’on va recevoir.” Chaque nuit où nous campions à terre, ce côté imprévisible de l’expédition nous offrait de merveilleux souvenirs. Un diable de Tasmanie essayant de voler nos chaussures. Une plage remplie d’os de baleine blanchis qui avaient une lueur éthérée dans le soleil couchant. Des frissons alors que nous allumions désespérément un feu pour nous réchauffer après avoir été écrasés sur le rivage par d’énormes déferlantes. Des wombats se joignant à nous pour prendre un apéritif dans la baie de Wine Glass, alors qu’un gréement carré roulait doucement dans la houle. Pagayer sur le rivage pour se retrouver invité à un anniversaire de noces d’or rempli des personnages les plus étonnants. Cette expédition est devenue en tout point mémorable, par la générosité de la nature, la force du lien entre terre et mer et par les gens que nous avons rencontrés.
J’en voulais encore davantage et, après que les enfants eurent quitté la maison et que j’aie mis fin à ma carrière de coureur, Tracey et moi avons décidé de plonger nos orteils dans la croisière. Nous avons commencé par un Frances Pilot de 34 pieds qui nous a ouvert l’appétit. Le plan initial était pour moi de naviguer en solitaire sur les océans, mais Tracey a pris confiance et a décidé de sauter à bord à pieds joints. Nous avons commandé “Pearl of Penzance”, un merveilleux Garcia Exploration 45, et avons passé les deux ans et demi suivants à vivre sur l’eau.
En faisant des recherches sur notre voyage, nous sommes tombés sur une formule surprenante selon laquelle la croisière correspondait à 20 % de temps de navigation effective, le reste se passant au mouillage. Cette formule semblait très défavorable à la navigation et je l’ai donc comme ce qui s’est avéré être une pincée de sel malavisée. En fin de compte, nous avons découvert que nous avions trois modes de fonctionnement, le mouillage, la livraison, et un intermédiaire que nous nommerons vagabondage. Il nous a fallu un certain temps pour nous détendre et réellement adopter le rythme de la longue croisière, par opposition à l’attitude souvent adoptée par défaut et consistant à foncer comme des fous, sachant que le temps disponible hors travail est nécessairement limité.
Après avoir trouvé notre rythme, il est rapidement devenu évident que nous avions besoin de rassembler un éventail de jouets et d’équipements nécessaires pour continuer à explorer, nous détendre et enrichir notre expérience. Une boîte à outils qu’il nous un certain temps d’accumuler et d’optimiser.
Tout un monde de merveilles est juste là, à portée sous la quille, alors la première chose à faire était d’enfiler une paire de palmes, un masque et un tuba pour un plaisir sans fin. Cela a également permis de vérifier l’hélice, les doubles safrans, les anodes sacrificielles, et de s’assurer de la bonne tenue de l’ancre. En plus de cela, nous avons ajouté un petit compresseur électrique qui a prolongé mon temps de plongée, me permettant de nettoyer la coque et d’effectuer de petites tâches comme le changement des anodes, le nettoyage de l’hélice ou celui d’une une ancre encrassée. Comme Tracey a peur de l’eau, nous avons acheté un bathyscope, ce qui a été une véritable aubaine car elle adore la nature. J’avais pris l’habitude de la remorquer dans le canot pneumatique pour faire de la plongée libre et nous avons ainsi pu profiter de ensemble de cette expérience.
J’ai vite eu besoin d’aller plus loin en matière de snorkelling, et l’idée a été de maximiser ce que ce loisir pouvait m’apporter. J’ai acheté un masque sur mesure, des lingettes antibuée, un tuba plus long et des palmes plus performantes. Un haut en néoprène m’a empêché de prendre des coups de soleil sur le dos et m’a aidé à rester au chaud dans les eaux plus froides. J’ai ajouté à cela une combinaison de plongée légère lorsque nous nous sommes dirigés vers le nord : je l’utilisais toujours dans les cas où je devais plonger depuis le bateau en mer pour minimiser les contusions en cas de contact avec la coque. J’ai également commencé à nager pour me maintenir en forme, ce qui, après avoir frôlé un hors-bord, a vite nécessité l’ajout d’un flotteur rouge attaché à ma taille. Nous avons acheté un livre sur les poissons et avons commencé à rechercher de bons sites de plongée en apnée pendant la planification de nos navigations. L’ajout d’une caméra sous-marine et d’une GoPro nous a permis de constituer de merveilleux souvenirs.
À mesure que mes connaissances sous-marines se développaient, il est devenu évident à mes yeux que nous flottions au-dessus d’une banque alimentaire très nourrissante. Je ne peux pas vous dire à quel point j’ai eu du plaisir à attraper mon dîner avec mon fusil harpon, que ce soit du poisson ou du homard. Cela m’a occupé pendant des heures et m’a vraiment aidé à comprendre ce nouveau monde et sa chaîne alimentaire complexe. Une chaîne au sommet de laquelle ça n’est pas l’homme qui domine… ce qui nécessite de bien comprendre les habitudes des requins. La première règle d’or est de ne pas se baigner à l’aube ou au crépuscule. Méfiez-vous si des déchets alimentaires viennent d’être jetés par-dessus bord et veillez à éviter les endroits où l’on utilise des appâts pour attirer les requins à des fins touristiques, car cela les encourage à associer l’homme à de la nourriture.
Plus nous avons passé de temps à explorer, plus nous avons pris conscience de l’importance d’avoir une annexe. Je recommande un canot pneumatique et nous avons adoré notre F-rib car il pouvait se replier et être rangé dans les fonds pendant les traversées océaniques. Nous nous sommes rapidement débarrassés de notre moteur hors-bord à quatre temps et avons acheté un Yamaha à deux temps, utilisé par tous les pêcheurs professionnels. Peut-être pas aussi écologique que le quatre temps, mais dix fois plus fiable. En grande croisière de longue durée, le hors-bord est à la fois un outil de travail et un élément de sécurité. Nous avons effectué quatre sauvetages avec notre canot pneumatique, dont un n’aurait pas réussi sans la puissance supplémentaire d’un moteur à deux temps.
Lorsque nous partions pour de longs voyages en annexe, nous emportions des chapeaux, un parapluie, de l’eau, un casse-croûte, de la crème solaire et de l’insecticide. Un petit sac contenant une VHF étanche, un GPS portable, un téléphone mobile et un portefeuille n’est jamais de trop. Nous avions également une bonne ancre avec quelques mètres de chaîne. Si je m’éloignais du rivage par mes propres moyens, je traçais toujours le chemin projeté sur la carte, puis faisais un contrôle radio pour tenir Tracey au courant. À plusieurs reprises, je me suis associé à un autre voilier qui croisait dans les parages, ce qui nous a permis d’avoir une redondance totale avec deux bateaux impliqués.
Au fil du temps, j’ai eu envie de faire plus d’exercice et j’ai acheté un hybride de stand up paddle et de planche à voile. Le paddle, qui m’avait d’abord semblé ennuyeux comparé au kayak, est devenu une passion. C’est un excellent exercice et je me suis vite rendu compte, alors que je pagayais avec un ami qui lui était en kayak, qu’étant debout, je pouvais voir beaucoup mieux et plus que lui. Je me souviens lui avoir crié que nous étions presque à la verticale d’une grande raie aigle. En étant près de l’eau, tout ce qu’il pouvait voir était le reflet du soleil. L’autre avantage par rapport à son kayak était que je pouvais jeter la planche à l’eau et la ranger facilement, alors que la mise à l’eau du kayak nécessitait deux personnes et l’emploi d’une drisse. C’est ce même facteur de tracas supplémentaire qui fait que je n’ai jamais vraiment utilisé la planche à voile.
L’une des choses essentielles avec ma planche de stand up paddle a été de concevoir et de construire un rangement dédié sur l’arceau du cockpit, juste sous les panneaux solaires. La facilité d’accès signifiait que je pouvais la jeter dans l’eau sur un coup de tête et m’amuser. Le fait qu’elle soit rigide a permis d’obtenir de meilleures performances et, bien sûr, un meilleur matériel pour de nombreuses heures de plaisir à surfer les vagues. L’autre solution était stand up paddle gonflable, qui a l’avantage de se ranger facilement, mais j’ai trouvé que les performances de ce matériel, plutôt faibles en comparaison de ma planche rigide, ainsi que le tracas que représente le gonflage, limitaient son utilisation quotidienne. Là où la planche gonflable s’est révélée utile, c’est lorsque nous avons eu des invités qui étaient novices en matière de paddle-board : la version gonflable était adaptée à leurs capacités. Et il était plaisant de pouvoir la dégonfler et la ranger pendant de longues périodes lorsque nous naviguions tous les deux. J’ai pris un grand plaisir à faire découvrir aux nouveaux venus les joies du stand up paddle.
Ma planche de paddle s’appelait “Mindy”, du nom de notre charmante petite chienne, car elle avait un vrai pouvoir d’attraction lorsqu’il s’agissait de rencontrer des gens. Je finissais toujours par discuter avec d’autres croisiéristes au moment de me frayer un chemin au mouillage. À Norfolk, en Virginie, j’ai pagayé sous l’étonnante proue concave de l’USS Wisconsin et j’ai effrontément interpellé un officier de l’US Marine qui passait par là pour qu’il me prenne en photo. Ce soir là, il est venu boire un verre à bord de “Pearl”. Le lendemain, il nous a emmenés faire la plus incroyable des visites VIP du porte-avions de classe Nimitz, le USS Eisenhower ! Dans le Maine, j’ai rencontré des descendants de la famille Cabot, arrivée en Amérique avant le Mayflower. Une autre fois, j’ai pagayé autour d’un affleurement rocheux pour me retrouver face à face avec un pygargue à tête blanche d’un mètre de haut. Il m’a étudié pendant un moment, puis a continué à se nourrir d’un gros poisson pris dans ses serres – c’était un moment incroyable.
Comme pour tout sport nautique, la sécurité et le bon sens doivent être au cœur de vos préoccupations. N’utilisez aucun de ces engins si vous avez consommé de l’alcool, et avant tout assurez-vous que si les choses tournent mal, vous ne serez pas emporté par la mer. Soyez attentif aux marées et aux changements de courants, car ils peuvent se former très rapidement et vous emporter. Scrutez continuellement l’horizon lorsque vous faites de la plongée en apnée afin de surveiller les bateaux qui s’approchent ou même, comme cela m’est arrivé lors d’une plongée aux Bahamas, quand survient une grande et dangereuse trombe marine. Lorsque vous choisissez votre bateau, tenez compte de ces activités hors programme de navigation, qui forment des distractions très plaisantes. Le Garcia Exploration 45 “Pearl” était parfait pour cela, car il disposait d’une grande plate-forme d’embarquement et d’une échelle. Cela offrait une plate-forme stable et sûre pour passer du canot pneumatique au paddle-board ou à l’eau. En fait, cette partie du bateau ressemblait presque à un ponton de marina et était même équipé d’un plafonnier.
La pêche a tout d’un excellent passe-temps et, avec le recul, j’aurais aimé explorer davantage cette activité. C’est un sujet très vaste, dans lequel nous avons plongé notre orteil en laissant tomber un hameçon à cuiller par-dessus le liston, avec un résultat surprenant. Je pense que, si les circonstances familiales n’avaient pas nécessité la vente de “Pearl”, cela aurait été pour nous deux le prochain domaine à explorer. Savoir que la simple idée de préparer un repas vous amène à jeter une ligne à Terre-Neuve ou en Norvège et à attraper un cabillaud frais est plutôt magique. Tout comme le fait de prendre un gros thon ou autre poisson pélagique pendant une traversée de l’océan.
Avec le recul, et bien que nous ayons adoré notre traversée de l’Atlantique en duo, la plupart de nos souvenirs durables proviennent d’expériences vécues à proximité de la côte. Avec le temps et l’expérience, nous avons constitué notre boîte à outils pour tirer le meilleur parti de ce point de rencontre riche et merveilleusement diversifié entre la terre et la mer. Ne vous contentez pas de naviguer sur les océans : immergez vous-y au sens propre du terme. À vos yeux se révélera un monde qui va enrichir considérablement la valeur du temps, et vous laisser de fastes souvenirs.