Cette chronique est la deuxième de six écrites par le marin et auteur britannique Pete Goss.
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Récemment, quelqu’un qui cherchait sur Internet le bateau de ses rêves m’a demandé ce qui, selon moi, faisait d’un voilier un bateau d’expédition. C’est une question intéressante, car la réponse dépend de ce que signifie pour chacun cette notion d’expédition. Si on voit les choses à l’extrême, vous avez des bateaux comme Pelagic Australis de Skip Novak qui, avec ses 48 tonnes, est conçu pour survivre aux conditions les plus difficiles tout en restant un abri accueillant pour ceux qui sont à bord. Un camp de base robuste, capable de servir des ambitions variées, depuis la recherche scientifique jusqu’aux expéditions d’alpinisme en zones lointaines. Bien que nous soyons tous attirés par quelque chose de cette nature, Pelagic Australis se situe bien au-delà des besoins, des budgets et des niveaux d’expérience de la plupart des gens.
En élargissant le champ de vos recherches, vous trouvez un nombre limité de bateaux qui vous permettent d’explorer en toute sécurité les mêmes territoires éloignés. Ils ne sont plus tout à fait un camp de base, mais davantage un yacht capable de vous emmener en toute sécurité sur les routes les moins fréquentées. Des yachts au moyen desquels un couple, une famille ou un groupe d’amis peuvent élargir leurs horizons en toute sécurité et confort, avec l’avantage par rapport notamment à un navire armé pour le tourisme en zone polaire, de pouvoir s’affranchir des contraintes commerciales liées à l’attente d’une fenêtre météo favorable.
Une investigation encore plus poussée vous conduira éventuellement vers le domaine des bateaux de production en plastique, conçus pour coexister avec l’environnement des marinas. Une approche combinée qui a généré une famille de bateaux pleins de couchettes, dotés de réservoirs aux capacité limitées, avec des caractéristiques minimales en termes d’amarrage et de sécurité. Ces bateaux, qui remplissent admirablement leur fonction, devraient rester au ponton dès que surgit le mauvais temps, même modéré. Ils ne méritent certainement pas de répondre à la définition, même la plus large, de bateau d’expédition : ils peuvent donc être directement éliminés en raison de leur incapacité à permettre de longues périodes de navigation en parfaite autonomie.
Des fondamentaux de construction
Pour obtenir le label expédition, un bateau doit être de construction robuste, peu importe qu’il soit en acier ou en aluminium. Il doit comporter des cloisons étanches à chaque extrémité. Il doit être bien isolé et avoir un double vitrage, ainsi qu’un système de chauffage efficace. Ce bateau doit être doté d’un système de propulsion capable de le faire avancer par mer agitée pendant une longue période. Son gréement doit être solide et son plan de voilure simple et fiable, avec une attention particulière aux conditions ventées. Le cockpit doit être protégé et il doit y avoir un excellent système d’ancrage. Chaque aspect du bateau doit être conçu et construit dans une logique de redondance.
À mon avis, il n’y a qu’un petit nombre de bateaux qui correspondent à ce cahier des charges, et il est difficile de faire le bon choix parmi eux. Plutôt que d’écouter ses sentiments, il est beaucoup plus sûr de s’asseoir et de définir réellement l’étendue de l’aventure que l’on souhaite entreprendre. Seule une identification claire et impartiale de vos aspirations vous permettra de trouver le bateau qui vous convient, qu’il fasse ou non partie de la catégorie expédition. Car le propre des voiliers quels qu’ils soient est d’être des facilitateurs d’aventures. N’oubliez pas qu’un débutant peut retirer d’une traversée de la Manche les mêmes défis et les mêmes gratifications qu’un navigateur expérimenté le ferait d’une transatlantique.
Bien savoir ce que l’on recherche
La question de l’adéquation entre choix du bateau et type d’aventure envisagé peut être illustrée par notre prochain bateau. Des circonstances familiales changeantes nous ont obligés ma femme Tracey et moi à réduire la portée de notre zone de croisière, initialement conçue comme planétaire – c’est pourquoi nous avons vendu notre merveilleux Garcia Exploration 45 “Pearl of Penzance”. Devant à l’avenir rester plus près de chez nous, notre prochaine aventure consistera à explorer la côte, les littoraux, les rivières et les canaux d’Europe. Nous avons donc conçu un bateau de 32 pieds en contreplaqué epoxy qui s’appellera “Oddity”. Bien qu’il soit capable de naviguer en mer, on pourra rapidement abaisser son mât, ce qui en fera un bateau fluvial capable de négocier des ponts à faible tirant d’air. Il est équipé d’un sabot métallique de 10 mm pour protéger la quille, de sorte que s’il est pris par l’hiver dans une zone reculée, il peut sans crainte être traîné à terre derrière un tracteur.
“Nous n’avons jamais regretté le choix d’un bateau performant et capable de faire bien plus que son devoir.”
Dans le cadre de cet article, je souhaite me concentrer sur les caractéristiques qui nous ont amenés à acheter notre merveilleux Garcia Exploration 45 “Pearl of Penzance”. Bien que nous n’ayons finalement pas emprunté les routes les moins fréquentées, nous n’avons jamais regretté le choix d’un bateau performant et capable de faire bien plus que son devoir. Exactement comme on pèle un oignon, nous avons du éliminer de nombreuses couches et options avant d’avoir la révélation de ce que serait pour nous le bon bateau.
L’achat de Pearl a été pour nous un investissement très conséquent, qui nous a obligés à vendre ce que nous avions et à nous consacrer pleinement à ce projet. Les enfants avaient quitté la maison, ce qui nous donnait le droit de partir, mais nous étions également conscients que des parents vieillissants et, espérons-le, la venue de petits-enfants, nous pousseraient un jour à revenir vers notre chère Cornouaille. Dans cette optique, nous avons estimé qu’il était important de choisir un bateau qui conserverait une bonne valeur de revente et resterait en quelque sorte un actif. La prise en compte de cette dimension du cycle de vie du bateau s’est avérée prépondérante pour le succès de notre projet car, quand il s’est agi de revendre “Pearl”, cela s’est fait en un clin d’œil.
Il a aussi été agréable de constater que, bien que ma femme Tracey eût été une novice, nos critères de choix se complétaient. Je voulais un bateau solide et pratique, offrant une sécurité totale, beaucoup de redondance et accastillé selon des normes rigoureuses. Dans la mesure où nous disposions d’une fenêtre d’action de taille réduite, il était impératif que ce bateau réponde à nos besoins, plutôt que de devoir constamment nous occuper de lui. Tracey quant à elle s’est concentrée sur la nécessité de disposer d’une maison avec tout le confort nécessaire, du double vitrage au réfrigérateur, en passant par le congélateur et l’eau chaude pour la douche. Mais avant tout, notre bateau devait être suffisamment léger pour marcher dans les petits airs et avoir un “pilot house”, car elle ne comprendrait jamais l’intérêt d’un engin conçu pour vous emmener dans des endroits exotiques, mais dans lequel vous logeriez dans une grotte en contrebas.
Aluminium et dériveur intégral, une association bénéfique
Au cours de ma carrière, j’ai navigué sur toutes sortes d’embarcations construites en fibre de verre, en carbone, en bois, en acier et, dans le cas de “Pearl”, en aluminium. Chacun de ces matériaux comporte des atouts mais, pour vivre à bord d’un bateau porteur de grandes ambitions, l’aluminium est selon moi le meilleur choix. C’est un matériau léger et résistant qui se protège lui-même grâce à une couche d’oxydation. Vous pouvez bien sûr le peindre, mais pour moi, cela annule l’avantage de l’oxydation et ouvre la voie à un des efforts de maintenance inutiles. En effet, “Pearl” était initialement revêtu d’une peinture laquée que nous avons finalement fait sabler à nu et nous n’avons jamais regretté ce choix.
L’une des meilleures décisions que nous ayons prises a été d’opter pour un bateau à dérive centrale plutôt qu’à quille relevable. Du fait de la confusion qui règne trop souvent, je me sens obligé d’établir une brève comparaison entre ces deux formules, autour notamment de la question du moment du redressement. Un fondamental absolu qui diminue à mesure que l’on soulève une quille relevable. En revanche, à bord de notre dériveur intégral, nous avons pu surfer sur la houle de l’Atlantique avec la confiance apportée par un lest offrant une stabilité constante et ce, quelle que soit la position de la dérive. Le fait de pouvoir relever la dérive au portant signifiait que le bateau n’était pas ardent et devenait stable en direction, presque docile même. Cela a rendu la navigation plus confortable et a d’ailleurs permis de soulager les contraintes sur l’ensemble du bateau, y compris sur le pilote automatique et la consommation d’énergie. En plus, nous avons gagné un demi-nœud supplémentaire en relevant totalement la dérive lors des parcours au moteur.
N’ayant pas à soulever des tonnes de ballast, nous avons bénéficié du même système simple qu’à bord d’un dériveur, avec un bout arrivant dans le cockpit et permettant d’abaisser la dérive à la main ou de la remonter au winch. Un système d’une simplicité élégante, à la fois facteur de fiabilité en ceci qu’il élimine le besoin d’un système hydraulique complexe, et créateur de facilité car il permet d’éviter qu’un compartiment de quille soit situé en plein milieu de la zone de vie.
Notre tirant d’eau était de 1,15 m dérive relevée et de 2,90 dérive basse, ce qui confère une meilleure performance au près que ce que j’avais envisagé. Quand ce système est bien conçu, il permet de bénéficier du meilleur des deux mondes, or il se trouve que les avantages d’un tirant d’eau peu profond sont nombreux. Dans un mouillage très fréquenté, cette zone de no man’s land entre la zone de mouillage et le rivage paraissait comme réservée pour nous. Si l’ancre d’un des bateaux au mouillage venait à déraper, sa trajectoire l’éloignait de nous. Bien sûr, cette possibilité d’approcher le rivage est ouverte à un bateau à quille relevable, auquel cas son équipage devra s’accommoder des mouvements désordonnés d’avant en arrière causés par un moment de redressement amoindri.
L’une de nos joies à naviguer à bord de “Pearl” a été d’avoir accès à de magnifiques petits mouillages, interdits aux bateaux à plus fort tirant d’eau. Si nous touchions le fond avec la dérive en position basse, celle-ci pivotait simplement et, bien loin de créer un choc violent, faisait office de bâton de sonde. Nous avions la possibilité de nous échouer pour effectuer des tâches d’entretien ou de nous glisser entre les rochers pour encaisser un coup de vent, avec la confiance apportée par le fait de savoir que le moment de redressement est toujours à son maximum. En fait, les quilles relevables et les dérives intégrales relèvent de deux univers séparés, et nous nous sommes toujours félicités d’être du bon côté de cette barrière.
Un bateau créateur de bons souvenirs
Tracey voulait que les cabines soient séparées par la cuisine et le salon. Pour notre part, nous avions besoin d’un grand lit double accessible de chaque côté et d’une généreuse salle de bains. De l’autre côté du salon, une autre cabine double, et une autre encore, à deux couchettes séparées. Cette disposition a montré de l’intérêt, car les visiteurs souffrant de décalage horaire pouvaient s’allonger sans perturber notre routine quotidienne, qui commence par une bonne tasse de boisson chaude. Disposer d’un rangement généreux et facilement accessible relevait de l’évidence pour nous deux, avec un local technique séparé pour les outils et les pièces de rechange.
“Nous tenons le concept de ce bateau : un accomplisseur de rêves confortable et sûr”
Voilà, nous tenons le concept de ce bateau : un accomplisseur de rêves confortable et sûr, mais quelle doit être sa taille ? Nous avons opté pour 45 pieds, ce qui nous semblait assez grand pour accueillir des visiteurs et aller partout, mais assez petit pour que nous puissions tout gérer facilement à deux. Nous ne voulions pas être dépendants d’un équipage et il était donc important que toutes les manœuvres reviennent au cockpit. Un cockpit qui doit offrir à la fois un abri contre les éléments et un espace de divertissement pour les amateurs de couchers de soleil comme nous.
Tant d’accidents se produisent lorsqu’on monte à bord depuis l’annexe, quand on jette l’ancre ou encore lorsqu’on s’amarre à couple d’un autre voilier. C’est pourquoi je voulais enfin bénéficier d’une bonne visibilité permettant de tout contrôler depuis le poste de pilotage. Mais aussi d’un tableau arrière ouvert et sûr pour l’embarquement, d’un bon système d’ancrage robuste ainsi que d’un propulseur d’étrave. Tout cela nous a permis de vivre pendant deux ans et demi l’expérience la plus enrichissante de notre vie. On m’a dit un jour de dépenser mon argent en souvenirs et, dans notre cas, les bons souvenirs ont clairement reposé sur le fait d’avoir choisi le bon bateau.