Cet article est le sixième et dernier de la chronique rédigéee par le navigateur, auteur et aventurier britannique Pete Goss.
La page recensant tous les articles de cette chronique est ici : La grande croisière, un voyage aux multiples facettes
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Dans ce sixième et dernier article de la chronique qu’il a aimablement accepté d’écrire en exclusivité pour Garcia Yachts, le navigateur et aventurier britannique Pete Goss examine le ratio risque-bénéfice associé à un projet de grande croisière. Il démontre à quel point le fait de “s’accorder la permission de partir” vous permettra de “remplir un chapitre de souvenirs valables pour la vie”.
En regardant en arrière, mes articles précédents ont largement couvert les sujets et thématiques je voulais partager. S’étendre davantage sur ces points ne ferait qu’aboutir à un recueil de détails que l’on peut facilement trouver ailleurs. J’espère ainsi avoir exprimé, au travers de ces écrits, ce que je ressentais sur les thèmes suivants : suivez votre rêve, choisissez le bon bateau, apprenez au fur et à mesure, évitez de vous imposer des délais, exposez-vous parfois – avec prudence s’entend – mais surtout amusez-vous, faites-vous des amis… et alors vous vivrez un voyage réellement enrichissant.
Tout le monde a des rêves susceptibles de se réaliser sans effort. Pour beaucoup de gens, la réalité de la vie peut malheureusement les encourager à passer à côté de leurs rêves, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. D’autres, enfin, souvent à contre-courant du plus grand nombre, trouvent dans le fait de sortir des sentiers battus un attrait irrésistible : ils sont comme obligés de faire en sorte que leurs rêves deviennent réalité. Une réalité qui exige, pour l’affronter, une détermination sans faille et une bonne dose de courage.
Dans cet article, j’ai pensé que je pourrais vous exposer quelques stratégies pour vous aider à regarder au-delà du bastingage, à haleter et à vaciller à juste titre devant l’abîme que représente le choix de faire le grand saut du départ. Cela ne doit pas forcément se passer comme ça, car il existe de multiples moyens de confectionner le bon parachute ou de vous faciliter la tâche de manière moins dramatique. Ce saut ne doit pas nécessairement être un pari qui vous retourne l’estomac et qui pourrait compromettre votre équilibre de vie de manière générale. Il peut et doit être le début d’un chapitre merveilleusement enrichissant, qui vous laissera des souvenirs impérissables. Mais tout d’abord, et cela est d’autant plus vrai après une vie active remplie de responsabilités, vous devez consciemment vous accorder à vous-même la permission de partir.
Cette permission une fois accordée, il est utile de considérer d’abord votre environnement immédiates, ces pierres de touche qui donnent un sens à la vie, je parle bien de la famille, des amis et des collègues de travail. Sachez qu’ils peuvent avoir du mal à accepter la simple idée d’aspiration pour la liberté que représente pour vous la vue d’un horizon dégagé. Aidez-les à saisir cette aspiration, afin qu’ils comprennent qu’au lieu de les abandonner, vous tirez votre force de leur soutien. Parlez-leur, offrez-leur des livres appropriés, laissez-les participer à l’aventure et démontrez-leur qu’ils y jouent un rôle significatif. Emmenez-les naviguer pour partager votre passion, faites-leur la preuve que la sécurité est pour vous une priorité. Créez un lien entre eux en organisant une fête pour votre départ, et emmenez-les avec vous sur un blog écrit avec objectivité et qui partage avec honnêteté les hauts et les bas de l’aventure.
L’empathie triomphe toutes sortes d’émotions, alors imprégnez-les de cette même excitation que vous éprouvez pour le voyage. Vous pouvez facilement leur offrir cela en les invitant à vous rejoindre pour les vacances. Notre fille nous a soutenus et a en quelque sorte “admis” notre projet jusqu’à ce qu’elle nous rejoigne aux Bahamas. Quelques jours plus tard, elle a pris Tracey à part pour lui dire qu’elle comprenait maintenant parfaitement nos envies, qu’elle avait de l’empathie et qu’elle était fière de sa mère pour ce qu’elle avait eu le courage d’accomplir. Il faut absolument éviter que votre famille et vos amis ressentent comme une tragédie, cela même qui, pour vous, représente le plus grand projet de votre vie.
Rassurez-les sur le fait que, grâce aux communications modernes, l’époque où l’on disparaissait à l’horizon pendant des mois est révolue. Avec les avions modernes, mis à part si vous êtes en pleine traversée océanique, vous serez rarement à plus de vingt-quatre heures de chez vous. Lors d’une traversée de l’Atlantique, un bateau décent de quarante à quarante-cinq pieds ne se trouve en principe pas à plus de dix jours de la terre. Désignez un ami de confiance pour tenir les rênes à court terme si besoin. Partagez avec lui un plan de crise qui couvre les modes de communication et comporte une liste de contacts prioritaires. Discutez de chaque scénario pour vous assurer qu’il est heureux et confiant dans son rôle. N’oublions pas que, même si la traversée d’un océan est un événement important, elle ne représente qu’une petite partie du calendrier effectif des navigateurs en grande croisière. Sur notre périple de deux ans et demi, seules trois semaines ont été consacrées à la traversée de l’Atlantique. Certains partenaires choisissent de ne pas faire de traversées océaniques et de vous rejoindre en avion : qu’à cela ne tienne ! C’est ce qui vous convient qui compte.
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Tenez compte des personnes à bord en comprenant parfaitement les motivations, les réserves et les besoins de chacun . Ne soyez pas rigide, faites des bilans honnêtes tous les quelques mois en comparant les hypothèses de départ à la réalité du moment. Ne vous apitoyez pas sur vos erreurs, célébrez les enseignements et adoptez cette capacité d’adaptation qui se renforce avec l’expérience. Laissez place à l’humour qui permet de souligner les petites choses, après tout, c’est un mariage entre vous deux et le bateau. Ne vous souciez pas de ce que les autres pensent ou font, car cette nouvelle vie est avant tout une question d’expression de vos aspirations personnelle.
Ne prenez pas le large avant d’avoir mis en place et testé la forme de support et d’assistance adéquat. Surtout, faites-le à vos conditions, le départ ne doit pas nécessairement être la date de départ. Vous pouvez choisir de naviguer localement jusqu’à ce que les différentes questions liées à l’état du bateau, de ses systèmes et à vos capacités à les maîtriser, soient résolus. Suivez des cours allant de la médecine à bord à la réparation des voiles, en passant par l’entretien du moteur, la météo et la navigation. Lorsque vous partez, vous pouvez choisir de commencer par des petits pas qui se transforment en grandes enjambées au fur et à mesure que vous progressez. Inévitablement, et comme la connaissance dissipe la peur, il arrivera un moment où vous ne pourrez plus attendre pour vous lancer sur l’immensité océane.
Rejoignez des groupes de personnes partageant la même vision que vous, comme le Ocean Cruising Club, ou inscrivez-vous à un événement comme le rallye transatlantique ARC, qui est un événement extraordinaire, ou le Grand Large Yachting World Odyssey. Un projet partagé voit le niveau de risque divisé, et il se peut que la navigation de concert entre bateaux amis soit votre truc. Nous avons beaucoup apprécié la navigation sur l’Intracoastal Waterway (réseau de canaux et de voies d’eau situé le long du littoral de la côte est des USA) avec Ian et Michelle, qui sont maintenant des amis de longue date grâce à cette aventure commune. Tout le temps passé avec des croisiéristes expérimentés sera pour vous comme un forum permettant de télécharger des idées.
Vous pouvez louer les services d’un skipper professionnel pour apprendre des choses propres à votre bateau. Cessez de parler de barre de secours, installez plutôt la vôtre et lancez vous pour une traversée. Faites l’entretien de votre moteur sous la direction d’un ingénieur, entraînez-vous en couple aux manœuvres d’homme à la mer, ne négligez pas les routines de base et affinez votre maîtrise de tâches comme la mise à l’eau de l’annexe et le maniement des voiles.
Découvrez vos points forts et jouez-en, dans la mesure où vous évoluez en tant qu’équipe : qui doit être à la barre et sur le pont avant lors du mouillage ? qui est le meilleur pour maîtriser le tangon de spinnaker ? etc. Comment prenez-vous les décisions ? Aurez-vous un système de carton rouge ? Définissez les domaines de responsabilité de chacun à bord. Surtout, c’est le plus important, ne projetez pas vos aspirations sur les tiers, car nous sommes tous différents. Intégrez ces différences dans le programme afin qu’il satisfasse tout le monde.
Ne perdez pas de vue la raison pour laquelle vous vous êtes lancés dans ce voyage. Vous ne devez pas avoir l’impression de travailler, le bateau est là pour vous servir, et non vous pour servir le bateau. Lorsque nous sommes partis avec ma femme Tracey, notre rythme était trop rapide et nous nous sommes fatigués. Un recalibrage du projet a donné le ton pour le reste du temps passé à bord. Soyez indulgents envers vous-mêmes, mesurez vos progrès à l’aune de vos propres critères et non de ceux des autres. Regardez en arrière et reconnaissez le chemin parcouru depuis la première fois où vous avez quitté le quai, le cœur battant.
Les bateaux sont toujours prêts mais jamais préparés, il arrive un moment où vous devez prendre une grande respiration et apprécier la liberté de larguer les amarres. Vous avez fait le plus gros du travail et le plaisir est sur le point de remporter la partie. Remplissez votre bateau de jouets pour explorer le milieu marin et profitez de ce nouveau style de vie. Un style de vie qui vous fait vivre l’instant présent avec, devant vous, une infinie variété à saisir dans ce qu’offrent la nature, les lieux, les cultures et les personnes. Tout cela est extrêmement enrichissant et je vous souhaite bon vent, peu importe où vous mènera votre voyage.