D’un cercle polaire à l’autre…
Après avoir réalisé le Passage du Nord-Ouest en 2015, aux mains de Jimmy Cornell, son premier propriétaire, le Garcia Exploration n°1 a emmené son actuel propriétaire, Jan Van Opstal, en Antarctique ! Il nous fait le plaisir de nous partager le récit de cette navigation.
Du rêve à l’exploration
“J’ai retrouvé du temps pour naviguer. Comme beaucoup de plaisanciers, j’ai dévoré les récits de croisières extrêmes, mais l’idée saugrenue d’aller moi-même naviguer en Antarctique ne m’avait jamais effleurée… pas encore ! En fait, j’ai attrapé le virus en deux étapes. J’ai tout d’abord eu la chance d’acquérir l’Exploration 45 de Jimmy Cornell (chantier Garcia) : un voilier en aluminium, super-équipé, dont il est le concepteur et avec lequel ce navigateur hors pair a parcouru le passage du Nord-Ouest.
Un bateau sans limites, ça donne des idées ! J’apprivoise BalthazaR lors de 2 navigations en Nord Europe, jusqu’au-delà du cercle polaire arctique. Suis-je déjà contaminé ? Il faut que j’en ai le cœur net.
J’embarque alors à Ushuaia sur le voilier Vaihéré d’Éric Dupuis, certainement l’un des tout meilleurs pour aller explorer le continent blanc. La magie opère ! Lorsque la côte Antarctique s’estompe je suis déjà en train de concevoir mon retour ici.
Un projet ambitieux
Préparer BalthazaR pendant le confinement Covid puis l’amener en Terre de Feu via les 40èmes et les 50èmes prendra un certain temps ! Mi-janvier nous quittons enfin Ushuaia après 8j d’attente d’une fenêtre météo convenable. Nous sommes 4 amis à bord (Raphaël,Pierrick, moi Jan et Ryan) ; tous expérimentés, chacun compétent dans des registres complémentaires, une équipe solide qui me rend serein, même si mon rôle est de rester en permanence sur le qui-vive, attentif à tout.

Le passage de Drake : une traversée mythique
Petite escale à Puerto Toro (36habitants) la vraie agglomération la plus australe au monde. Il nous faut ½ journée pour doubler le Cap Horn, en bordure de l’archipel Wollaston qui resplendit au soleil. On est maintenant partis, toujours plus sud, pour 4 jours de traversée du Passage de Drake dont la réputation n’est plus à faire. On fera route directe vers l’archipel Melchior sous 2 ris, alternant le solent, la trinquette et … le moteur ; pas question, en effet, de trainer ici à attendre la prochaine tempête.
L’approche de l’Antarctique
Par 61°Sud, les damiers du cap viennent se mêler aux albatros, pétrels géants et océanites qui nous accompagnent depuis le départ ; ils annoncent la zone de convergence Antarctique ; les températures chutent, le brouillard s’installe.
A une centaine de miles du but le radar signale le premier iceberg ; on le longe dans la brume, magnifique et menaçant.
Les « glaçons » qui s’en détachent ne sont pas perçus par le radar, on ne les voit qu’au dernier moment dans le brouillard et le risque est extrême car un modeste glaçon de 10×10 mètres pèse plus de 500T : le combat est inégal avec les 18T de BalthazaR. La veille active, permanente de jour, est doublée pendant les quelques heures d’obscurité.
Mouillage à Melchior : un sanctuaire glacé
A l’approche de Melchior le soleil reprend le pouvoir ;on s’émerveille de passer entre de nombreux icebergs, du blanc pur au bleu ciel.
Les premières baleines à bosse nous accueillent : elles avancent doucement en surface dans un banc de krill, un groupe de manchots tourne autour d’elles. Des sternes, des goélands et des cormorans font leur apparition.

Le mouillage au cœur de l’archipel Melchior, entre les iles Êta et Omega, est l’un des plus sûrs de la Péninsule, mais les cartes numériques y sont imprécises (plus de 400m d’écart avec la réalité). A l’écran, notre route escalade gaiement les collines des îles, après vérification notre route se confond fort heureusement avec les traces qui m’ont été transmises par certains de mes prédécesseurs. On est sur le bon chemin !

Naviguer en Antarctique : une précision extrême
Une leçon : pas de navigation ici par mauvaise visibilité et sans ces fameuses traces. Un autre impératif aussi est de disposer des croquis manuscrits qui donnent les indications nécessaires pour entrer dans les mouillages et s’y amarrer au mieux.
Ça y est, je suis de retour en Antarctique ! En quelques secondes repasse dans ma tête tout ce qu’il a fallu faire au cours des 4 dernières années pour y revenir ; puis ce bref retour en arrière disparait d’un coup, comme pour me dire qu’il me fallait maintenant profiter à100% de mon Retour au Paradis Blanc.

Trois semaines d’immersion totale
Pour mes compagnons c’est une découverte totale, un monde rêvé qui s’ouvre à eux. Nous allons passer ici trois semaines fabuleuses avec des alternances de grand beau temps et des journées maussades ; la plupart du temps nous évoluerons au moteur par manque de vent, sinon nous resterons au mouillage, bloqués par la tempête.

Les paysages sont extraordinaires, la haute montagne envahie par la mer ; il y a de magnifiques montagnes massives comme le Mont Français (2865 m sur l’ile Anvers), mais aussi des chaines abruptes comme celles qui encadrent le chenal Lemaire. D’innombrables glaciers crevassés dévalent des hautes montagnes et vêlent dans l’océan. Des plaines couvertes de glace sont parfois teintées en rouge, jaune ou encore en vert par des microalgues. On trouve aussi de petits archipels granitiques peu élevés au milieu desquels on se faufile vers un mouillage sûr (Pléneau, iles Argentines, …).

Il n’y a aucun balisage, pas de phares ni d’amers. Et partout circulent avec le courant ou sont échoués, des icebergs énormes ou modestes, aux formes improbables.

Une faune omniprésente et curieuse
Si la flore est limitée, la faune est omniprésente. Elle n’éprouve aucune crainte à notre égard et la curiosité l’amène le plus souvent à venir nous observer de près, de très près !
On verra des baleines à chacun de nos trajets en mer, bateau arrêté non loin d’elles, on restera un long moment à les regarder… souvent, par groupe de 2 ou 3, elles continuent tranquillement leurs activités, sondant parfois en de superbes mouvements de queue.
Les plus ingénues viennent se frotter à la coque, nous prennent-elles pour un congénère ? Quand le groupe est plus nombreux, on a souvent la chance d’en voir une ou deux exécuter des sauts invraisemblables, plus de la moitié du corps hors de l’eau.

A terre nous visitons les colonies de manchots (papous, à jugulaire, Adélie), les jeunes de l’année sont encore au nid (à 2 le plus souvent), l’un des parents les garde, l’autre est à la pêche. Les grands labbe (skuas) leur tournent autour pour chaparder un œuf ou un poussin. Les chionis, tout blancs, ramassent les déchets. On garde nos distances avec les otaries, les léopards et éléphants de mer qui peuvent avoir des réactions vives. Les phoques (de Weddell, crabiers,…) sont plus passifs.Tous ces animaux, patauds à terre, nagent comme des fusées dès qu’ils sont dans l’eau.

Préserver l’Antarctique : entre restrictions et adaptation
Des cas de grippe aviaire ont été détectés à Bird Island (Georgie du Sud) : l’application de règles strictes est imposée aux visiteurs en Antarctique ce qui implique pour nous d’observer le comportement des oiseaux avant de débarquer, rincer nos bottes et pantalons entre chaque visite ; un pédiluve est installé à l’arrière du bateau. Les bases scientifiques en ont tiré des conclusions qui diffèrent radicalement entre elles : certaines ne reçoivent plus de visiteurs, tout en acceptant parfois que l’on vienne s’amarrer à leur ponton ; d’autres continuent d’accueillir volontiers les visiteurs (bases espagnole et ukrainienne). Toutes cependant apporteront tous leurs moyens disponibles aux marins en difficulté.
C’est ainsi que la base anglaise de Port Lockroy, qui est aussi un musée, n’est plus accessible, mais ses représentants viennent désormais à bord pour continuer le service du courrier (c’est le bureau de poste le plus austral au monde ; le prochain est à plus de 1000 km au nord) et vendre des souvenirs.
Parmi ceux-ci, nous avons beaucoup apprécié le whisky Shackleton distillé à l’identique de celui qu’affectionnait Sir Ernst, il y a 120 ans et retrouvé récemment dans le refuge construit sur l’ile Ross lors de son expédition vers le pôle Sud (1907/09 sur le 3 mâts Nimrod).” …

À suivre…
Ces premières semaines en Antarctique ont été une immersion totale dans un monde à la fois sauvage et fragile. Chaque jour a apporté son lot de découvertes, d’émerveillement et de défis. Mais l’aventure est loin d’être terminée…
Dans la suite de ce récit, nous poursuivrons notre exploration au cœur de la péninsule antarctique, à la rencontre de nouveaux paysages spectaculaires et d’expériences inédites. Cap sur la suite de cette aventure hors du temps !